Par Andrew Thompson, conseiller
On ne peut pas considérer la question de la santé mentale sans voir comment tous les éléments du langage qui lui sont associés dans notre culture, représentent un obstacle qui nous empêche de comprendre et d’aider les autres. La stigmatisation entourant la santé mentale est inscrite au cœur des mots, de la formulation et du jargon de notre époque. Il y a beaucoup trop de mots utilisés dans le langage courant pour humilier, abaisser et affaiblir les personnes souffrant de maladie mentale. Notre langage lui-même est devenu un obstacle à l’acceptation, à la compassion, à la compréhension et ultimement au bien-être de ces personnes. La stigmatisation, de façon générale, est constituée de deux éléments principaux : la stigmatisation publique et l’auto-stigmatisation, décrites comme « le processus par lequel l’identité normale est détériorée par les actions des autres ». La stigmatisation publique se manifeste par des stéréotypes : « Toutes les personnes souffrant de maladie mentale sont dangereuses », des préjugés : « Je suis d’accord, les gens atteints de maladie mentale sont dangereux et j’en ai peur » et de la discrimination : « Je ne v e u x pas être près d’eux ; on ne devrait pas les embaucher là où je travaille ». Il s’agit de la manifestation externe la plus évidente de la stigmatisation et a pour conséquence le refus d’acceptation de diagnostic de la part des personnes atteintes de maladie mentale. L’auto-stigmatisation est elle aussi reliée aux stéréotypes : « Toutes les personnes atteintes de maladie mentale sont incompétentes », aux préjugés : « Je souffre de maladie mentale, donc je suis incompétent » et à la discrimination : « À quoi bon essayer de trouver un emploi ; je suis un malade mental incompétent ». De plus, elle décourage les malades dans la recherche et même la poursuite d’un traitement. Ces deux formes de stigmatisation prennent naissance dans un langage qui essentiellement génère la peur, endommage l’estime de soi et marginalise ceux qui souffrent. L’apprentissage de ce langage et la création de cette stigmatisation commencent à si jeune âge que nous ignorons souvent leur présence. Une étude canadienne réalisée par une équipe de chercheurs qui ont entrepris d’explorer la présence d’un langage qui « isolerait et dénigrerait » les individus souffrant de maladies mentales bien définies dans les films pour enfants, a montré que dans 85 % des films de Disney on trouvait des exemples significatifs de paroles « dénigrantes et ridiculisantes ». Une autre étude, du Royaume Uni cette fois, a montré que lorsqu’ils font référence à des personnes atteintes de maladie mentale, 46 % des dessins animés diffusés à la télévision nationale utilisaient un vocabulaire « essentiellement négatif et fondamentalement irrespectueux […]. Typiquement, les personnages perdent le contrôle et agissent continuellement de manière illogique et irrationnelle ; ils correspondent à un stéréotype ouvertement négatif et sont l’objet d’amusements, de moqueries et de craintes ». Enfin, une autre recherche relative aux médias a montré qu’à la télévision et dans la presse écrite, entre le tiers et les deux tiers des histoires portant sur la maladie mentale impliquent une personne qui commet un acte violent ; le taux le plus élevé de références négatives est observé dans les dessins animés pour enfants où, lorsqu’il est fait référence à une personne atteinte de maladie mentale, cette personne commet un acte violent dans les deux tiers des cas. Il n’est donc pas étonnant que dans notre société, les préjugés et les malentendus au sujet des personnes qui souffrent de maladie mentale soient si répandus. Les bases en sont jetées vraiment très tôt.
L’utilisation d’un langage stigmatisant est tout aussi répandue parmi la population adulte. Les mots tels que fou, retardé ou cinglé sont à ce point utilisés que peu de gens réalisent d’où ils viennent et le pouvoir qu’ils ont. La plupart des gens les considèrent comme des reliquats inoffensifs du passé qui ne correspondent plus au vécu quotidien des personnes souffrant de maladie mentale — rien n’est plus faux. Ces mots érigent une véritable barrière entre les gens sains d’esprit, compétents, rangés, rationnels et terre-à-terre, et ceux qui sont dénigrés par ce langage stigmatisant. L’utilisation de ce genre de mots peut sembler innocente et inoffensive pour plusieurs, mais elle constitue la base d’une forme de stigmatisation qui interfère avec le traitement et les possibilités d’emploi, prive d’opportunités de logement et fait des ravages sur l’estime de soi et l’espoir de tant d’individus. Un journaliste d’une importante publication nationale a fait remarquer, dans un récent article sur le langage stigmatisant, que même à son bureau il y avait une affiche au-dessus d’une entrée principale sur laquelle on pouvait lire : « Il n’est pas nécessaire d’être fou pour travailler ici, mais ça aide ». Il est devenu beaucoup trop courant d’entendre dire parmi les adultes les phrases suivantes : « J’ai vraiment un TOC », « C’est mon TDAH qui cause ça » ou « C’est tellement stressant, je suis sur le point d’avoir une attaque de panique ». Le fait de banaliser ainsi la maladie mentale ne tient aucun compte de la souffrance et de l’angoisse que tant de personnes éprouvent, et dévalorise tout le processus de diagnostic et de traitement. Le langage peut cependant changer et s’adapter, puisqu’il s’agit de l’un des attributs humains les plus malléables et les plus dynamiques. Si nous voulons vraiment aider à combattre la stigmatisation associée à la maladie mentale, il est important d’utiliser un langage qui soit davantage centré sur l’individu, la guérison et qui soit fondé sur la compassion ; de plus, ceci ne requiert que de petits gestes délibérés. Dans notre culture, nous devrions cesser de faire référence aux individus comme étant des diagnostics — « Il est schizophrène » ou « Il est bipolaire » — et parler plutôt de ce que la personne diagnostiquée a vécu ou vit présentement. Si nous pouvions nous concentrer sur les symptômes dont souffre la personne et dire : « Jacques éprouve énormément de peur ou croit que ses voisins lui veulent du mal » plutôt que de simplifier en disant : « Jacques est un paranoïaque délirant ». Enfin, nous devrions essayer d’éviter d’utiliser un jargon ou un langage technique comme : « Marie est réfractaire, elle décompense ou elle est codépendante », et dire plutôt : « Marie traverse une période difficile ; elle a des problèmes avec sa médication prescrite et sa relation actuelle ne remplit pas ses besoins ». Une des meilleures façons de contribuer à la réduction générale de la stigmatisation associée à la santé mentale dans nos communautés, serait de modifier fondamentalement notre façon de parler de cette maladie. Des petits changements de langage peuvent paraître insignifiants, mais je vous garantis qu’ils contribuent à établir une culture d’acceptation, d’ouverture, de richesse et de confiance, et à orienter vers la guérison et le bien-être.